Formation Professionnelle : Détail d’une Réforme « Big Bang»
Muriel Pénicaud, Ministre du Travail, vient d’annoncer le 5 mars dernier les mesures qui vont bouleverser la formation professionnelle. Myriam Pesic, Présidente du Fongecif IDF et coordinatrice pour la formation professionnelle continue à l’URIF CFTC nous explique les grands changements qui vont prochainement entrer en vigueur.
Madame Pesic, pouvez-vous nous présenter rapidement les nouvelles mesures qui vont impacter la Formation Professionnelle ?
La première mesure est la monétisation du Compte Personnel de Formation (CPF). Fini le décompte en heure, chaque salarié verra son CPF crédité de 500 € par an, plafonné à 5 000 euros sur 10 ans. Pour les salariés non qualifiés, 800 € par an seront versés et plafonnés à 8 000 € afin de leur permettre de changer de catégorie professionnelle.
Les salariés qui travaillent à temps partiel bénéficieront des mêmes droits que les salariés à temps plein. Il faut savoir que 80% des femmes représentent ces salariés à temps partiel.
Le CPF de transition apportera davantage de droits pour les formations longues. Concrètement, pour les salariés qui ont un projet de formation longue, mais qui ne disposent pas des crédits suffisants sur leur compte pour le financer, un système d’abondement sera mis en place après validation d’une commission paritaire. Le CPF de transition devrait venir remplacer le congé individuel de formation (CIF).
Une application mobile CPF sera créée afin que les formations soient facilement accessibles et évaluées en toute transparence.
Un nouveau conseil en évolution professionnelle sera mis en place pour les salariés, permettant de les accompagner dans leurs projets d’évolution professionnelle. Il portera sur l’évaluation des compétences du salarié, la définition de son projet professionnel, les différentes formations disponibles, etc…
Dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, les demandeurs d’emploi et les jeunes auront davantage accès à la formation. Des modules de remise à niveau sur les compétences de base et les savoirs numériques seront systématiquement proposés aux demandeurs d’emploi qui le souhaitent.
Les TPE et PME de moins de 50 salariés bénéficieront d’une solidarité financière des grandes entreprises pour faciliter l’accès de leurs salariés à la formation. Le plan de formation des TPE et PME continuera d’être pris en charge par un système de mutualisation financière.
Les entreprises ne paieront plus qu’une seule cotisation, la cotisation formation professionnelle, au lieu de deux aujourd’hui (1% formation et taxe d’apprentissage). Cette cotisation sera collectée par les Urssaf et non plus par les OPCA, cette mesure est présentée comme permettant de simplifier les démarches administratives des entreprises.
La construction du plan de formation devrait être simplifiée.
La dernière mesure vise à encourager les nouveaux formats et l’innovation pédagogique en encourageant par exemple les Moocs, le digital learning, la modularisation…
Toutes ces mesures seront proposées en conseil des ministres fin avril.
Quelles sont les principales avancées ?
A mon avis, il y en a quelques-unes. Tout d’abord, la volonté de simplifier l’accès à la formation professionnelle, c’est une bonne chose. Ensuite, le fait de renforcer l’accompagnement des salariés, nous ne pouvons qu’y être favorables. Le salarié devient pleinement acteur de son parcours professionnel mais plus encore, de son parcours de vie. Je mentionnerais également l’accent mis pour les personnes les moins qualifiées car nous avons toujours été dans cette démarche d’aide à ceux qui étaient le plus éloignés de la formation et de l’emploi. Enfin, je pense à la modification des pratiques grâce au développement de nouveaux moyens, en particulier l’application mobile qui devrait permettre à chacun de s’informer plus facilement et plus rapidement sur les formations.
Quels sont vos points de vigilance ?
Comme je le disais, certaines mesures vont dans le bon sens, mais je souhaite que nous soyons vigilants car un projet de formation se réfléchit et s’établit en amont, l’accompagnement de ce projet est indispensable et je crains que cet accompagnement ne soit pas suffisant et que finalement le salarié n’accède pas à la bonne formation qui servirait son projet professionnel.
J’ai également une autre crainte, c’est que l’on fasse du chiffre de personnes formées, mais que ces formations ne débouchent pas nécessairement sur un emploi. L’autre point de vigilance serait une meilleure prise en compte des spécificités de nos régions. Les priorités régionales ne sont pas les mêmes et j’ai le sentiment que cela n’a pas été pris en compte. Je pense qu’il est aussi extrêmement important de reconnaître le savoir-faire des instances dans lesquelles nous siégeons, savoir-faire qui n’est pas suffisamment reconnu aujourd’hui.
Il me semble essentiel de reconnaître le rôle des instances paritaires.
Il me semble essentiel de reconnaître le rôle des instances paritaires. Ces instances semblent être mises en marge dans le projet proposé et leurs salariés sont très inquiets car un risque de plan social est tout à fait envisageable. C’est un point crucial.
Quels sont les points qui doivent encore évoluer ?
Le principal point sur lequel pratiquement tous les partenaires sociaux ne sont pas favorables, c’est la monétisation du CPF. On ne fait pas la même formation avec 500€ qu’avec un nombre d’heures. Rappelons qu’une formation, c’est avant tout un programme pédagogique incluant une partie théorique et pratique ou bien le développement d’un bloc de compétences sur une période plus courte. Ce programme pédagogique s’évalue toujours en heures et ces heures ont ensuite une valeur financière. En fonction de l’organisme de formation, vous n’aurez pas la même formation et en fonction du salarié qui souhaite être formé, vous n’aurez pas non plus le même besoin en matière de durée de formation. Si le principe de la monétisation s’applique, il sera alors plus compliqué de s’adapter aux besoins des salariés, ce sont les salariés qui devront s’adapter et cela ne s’inscrit pas du tout dans la philosophie de la formation professionnelle. D’autre part, la marchandisation de la formation pourrait avoir un impact sur la qualité de la formation et c’est une crainte légitime.
L’évolution du CPF est-elle une bonne chose ?
Naturellement l’évolution du compte personnel de formation est une bonne chose mais est-ce que sa marchandisation en est une ? Nous l’avons évoqué, je ne le pense pas. Est-ce que ce sera suffisant pour que la personne puisse se former et bien se former ? Le choix de l’organisme de formation est un curseur essentiel, le bénéficiaire sera-t-il suffisamment accompagné ? Là encore je me pose la question. Et il y a encore beaucoup de questionnements surtout en ce qui concerne la mise en place du CPF de transition.
Comment l’URIF CFTC fait-elle entendre sa voix ?
La CFTC est un acteur sur qui l’on peut compter dans les instances dans lesquelles elle est présente. Chaque mandaté CFTC se doit de faire entendre notre voix. L’autre volet, c’est l’information via nos différents outils (le site, le journal, les newsletters thématiques…) et ensuite la proximité, au travers de rencontres où chacun peut débattre des différents sujets, des points d’améliorations à envisager, des positions des autres organisations, brefs tous les sujets du moment. Et bien sûr, il faut que chaque mandAté CFTC défende son mandat en mettant en avant le savoir-faire de l’instance dans laquelle il siège.
La CFTC est un acteur sur qui l’on peut compter dans les instances dans lesquelles elle est présente
Quelles sont les prochaines étapes ?
Comme je le disais, ces mesures seront présentées en Conseil des ministres fin avril et l’on verra ce qui sera décidé. Mais j’ai bien peur que nous n’ayons plus notre mot à dire. En ce qui nous concerne, les mandatés CFTC formation professionnelle se sont déjà réunis afin d’échanger sur cette réforme. Nous avons listé des questions à poser à notre secrétaire confédéral en charge de la formation professionnelle que nous rencontrerons en avril afin qu’il nous apporte des réponses sur les différents points que nous avons évoqués. Mais clairement en tant que Présidente du FONGECIF Ile-de-France une de mes grandes inquiétudes, c’est le rôle donné au FONGECIF Ilede-France. Quelle sera sa future mission ? Quel impact pour ses salariés ? Nous n’avons malheureusement aucune réponse à ce jour, mais nous travaillons et nous restons totalement mobilisés sur ces sujets. Nous ferons en sorte de continuer à faire entendre nos inquiétudes, et surtout à continuer d’être force de proposition afin de rester un acteur incontournable dans l’accompagnement et permettre les transitions professionnelles.